Généalogie des Verdelhan

Une famille noble Cévenole au XIXme siècle : les Verdelhan des Molles (Tinthoin)

Cet article a été écrit par Robert Tinthoin et a été publié en 1959 dans la « Revue du Gévaudan des Causses et des Cévennes » (Bulletin de la Société des Lettres Sciences et Arts de la Lozère, Nouvelle série n°4, 1958).

La fin de l’étude comporte une erreur : ce n’est pas Paulin-Albert de Verdelhan des Molles qui épouse Cécile de Colombet de Landos, mais son fils René.

Retranscription

Une famille noble Cévenole au XIXme siècle :

__LES VERDELHAN DES MOLLES__

Les familles nobles des Hautes Cévennes sont issues d’une petite aristocratie terrienne ou d’une petite bourgeoisie, anoblie au XVIIIme par les charges de robe et d’épée qu’elles briguent. Les commerçants n’ont été longtemps que de « petits revendeurs ou des colporteurs »1. Pour la levée de l’impôt, le curé, note, en 1735, que « personne ne mérite la qualification de « bon »… ni les gentihommes quand ils sont chargés de famille, ni les avocats, ni les notaires ».

* * *

Au XVIIIme siècle, la famille noble des Verdelhan des Molles a encore certains collatéraux paysans. Son représentant, le seigneur des Molles, coseigneur de St-Germain-de-Calberte, sieur de Masbernard sur la paroisse de Saint-Etienne-Vallée-Française, est docteur-ès-droit et avocat au Parlement de Toulouse. Sa mère2 est roturière et sa femme3, fille d’un bourgeois, conseiller du roi et maire perpétuel de St-Etienne-Vallée-Française.

Sur six enfants, il a quatre garçons : deux sont avocats au Parlement de Toulouse, le troisième médecin : ce qui confirme l’appartenance de cette famille à la noblesse de robe. Elle évolue vers la noblesse d’épée avec le fils aîné Pierre-Jacques, coseigneur de Masbernard et ses quatre garçons : l’un prêtre4, deux autres officiers du roi.

L’aîné, Jean-Daniel, succède à son père comme seigneur des Molles, En 1764, il épouse une demoiselle de Solier — fille d’un avocat et juge —5 et, en 1796, marie une de ses filles6 à un propriétaire foncier de St-Etienne-Vallée-Française7 et affirme ainsi sa parenté avec la bourgeoisie aisée. Né après 1734, il meurt le 2 octobre 1822 à St-Germain-de-Calberte. Avocat au Parlement de Toulouse, il habite cette ville jusqu’en 1790, puis Alès — où il possède une maison — et se retire dans la maison familiale de St-Germain. En 1789, il prend part à l’Assemblée de la Noblesse du Gévaudan. Son fils aîné, Simon-Marcel épouse, en 1803, une jeune fille noble d’Alès8. Son frère, Anne-Germain-Xavier, trésorier du bureau de bienfaisance, lui succèdera comme maire de St-Germain, en 1823.

La maison familiale des Verdelhan des Molles, à l’angle de deux rues9, donne sur la place, face à la halle au blé, dans un îlot d’immeubles, en arrière desquels s’étendent des jardins, puis, à la périphérie, des terres de cultures. Cette grande demeure à deux étages est bâtie sur trois caves, caveau et arrière-cave10. On accède à l’entresol par un escalier, puis au premier étage, composé de cuisine, salon, chambre du défunt, grande salle de plain-pied. Au deuxième, il y a 7 chambres, plus celle des domestiques. Au-dessus, s’étend un vaste « galetas ». Sur le côté de la maison, sont bâtis l’écurie des chevaux et un petit grenier à foin appelé « pailler ».

Comme chez les paysans cévenols, la cuisine, éclairée par des lampes de fer, est garnie de pétrins ou huches en châtaignier, chaudrons et marmites en cuivre — qui peuvent être étendus à la crémaillère, munie d’un crochet et d’un support de poêle —, bassines, seaux et casseroles en cuivre. Il y a aussi : mortier, marmites et poêles à frire en fer dont une pour rôtir les châtaignes. Des objets décèlent une certaine aisance : poissonnière en cuivre, tourne-broche fixé au mur, près de la cheminée, garnie elle-même de ses chenêts en fer à crans et sa « chevrette » (cabréto), appui en fer pour soutenir les pots dans les cendres.

La composition du mobilier révèle une existence confortable, plaquée sur la vie paysanne ancestrale. Pièces d’appartement et matériel ménager soulignent le niveau de vie aisé de ces nobles ruraux cévenols.

Le salon, pour la réception des étrangers, possède une « fontaine avec sa cuvette », en étain, aux armoiries de la famille, avec robinets de fonte. Devant la grande cheminée, des chenêts à crans s’ornent d’une « pomme de couronnement en laiton ». Sur la table en merisier, à quatre pieds tournés, un tapis vert collé est recouvert d’un tapis jaune à raies bleues. Par sa couleur, celui-ci s’harmonise avec deux fauteuils, garnis d’une filoselle11 jaune mais les chaises rustiques sont en paille. Le luxe modéré apparaît avec la pendule12 en cuivre à sonnerie à répétition, fabriquée par un horloger parisien, et un buffet à quatre portes contenant vaisselle de faïence, carafe de cristal et verres communs.

La grande salle, siège de la vie commune et familiale, confortable et intime, est tendue de « satinade »13 à grandes raies jaunes et vertes et à petites raies rouge très foncé, doublée de toile à canevas. C’est la pièce la plus luxueuse. Le mobilier tient du salon, avec ses 8 fauteuils garnis de « bourrette »14 jaune, son canapé, sa commode15 de noyer à trois tiroirs, sa table en châtaignier à pieds à tenaille, sa glace dorée fixée au mur — entre les deux fenêtres garnies elles-mêmes de rideaux de mousseline16 et donnant sur la rue Basse —, surtout avec ses deux chandeliers d’or moulu façonné17. La vaisselle ou « poterie » en terre commune18 voisine avec 3 services de table : l’un en faïence, l’autre en « terre de pipe », le troisième en « porcelaine peinte sur vernis de différentes couleurs », service à café en porcelaine, compotiers et huilier en verre blanc, flacons en verre taillé.

Les couverts sont en étain, sauf grandes cuillères à ragout, 4 cuillères à bouche, fourchettes et 4 petites cuillères en argent19.

La chambre du défunt est ornée — nouveau luxe — de deux chandeliers en argent, gravés à ses armoiries20, d’une glace à cadre doré fixée au mur et de deux tableaux aux cadres dorés. La literie est particulièrement soignée : lit confortable mais sans luxe, avec son bois et ses « planches » en châtaignier, paillasse, deux matelas de laine, deux draps, deux couvertures — l’une de laine, l’autre de coton —, traversin de plumes et couvre-lit ou « surcot ». Le tout est garni de rideaux de cretonne jaune. Une armoire en cerisier à deux vantaux, fermant et clef, renferme le linge de maison, une petite armoire : papiers, titres de la maison et des propriétés du défunt. Deux autres grandes armoires à quatre portes, deux tiroirs et trois tablettes en noyer, cerisier et châtaignier, contiennent : l’une des provisions de bouche, puis « fleuret »21 en fil, cocons percés cuits au bassin, petit trébuchet22, l’autre service à café et couverts de table.

Dans les chambres, au 2me étage, les lits à baldaquin23 sont garnis de cretonne avec rideaux et ciels garnis de bourrette jaune, ou à quenouilles24 avec rideaux en cretonne, ou à la duchesse25 avec rideaux en bourrette jaune et vert à carreaux et ciel de même étoffe ou en indienne bleue à ramages. Le mobilier complet compte 6 armoires à deux portes fermant à clef, en noyer cerisier et châtaigner, 5 petites armoires, 9 lits et 13 matelas.

Le linge de maison comprend 57 draps de diverses toiles dont 2 en toile de Grenoble et 31 en toile blanche, 13 nappes dont 6 fines ouvrées à grain d’orge26 et une grande damassée pour 10 couverts 200 serviettes donc 54 à grain d’orge, 10 damassées, 32 en linge des Flandres, 46 de Rouen à petites raies blanches, 60 en coutil, 50 mouchoirs de poche de différentes couleurs. L’importance de ce trousseau illustre l’aisance des Verdelhan des Molles.

L’argenterie27 se compose d’une ragoutière, casserole à couvercle, écuelle, soucoupe, porte-huilier, cafetière, tabatière, cachets, boucles de col, boucles de souliers, jetons pour le jeu. Les couverts en argent, ornés de filet, comportent : cuillères à café, à ragout et à bouche, plats longs et ronds, la plupart aux armoiries de la familles des Molles. Il faut ajouter : 4 chandeliers en argent aux armes du défunt et un service d’argent que Jean-Daniel a donné à son petit-fils quand celui-ci est entré au collège de Langogne28. Le principal luxe de la famille réside dans cette argenterie, évaluée au total 17.500 francs de l’époque.

Les bijoux29, moins importants en nombre et qualité, comprennent : tabatière en or sablé30 — ornée de « cordons à grains » et de deux fleurs en relief —, étui, dé, anneau de tire-bouchons, des bagues, croix, montres d’homme et de femme, toutes deux en or et se remontant par une clef.

Le vestiaire du défunt est peu varié : 6 chemises, 2 gilets, pantalon de serge, redingote et habit sans doublure. Du décès de sa femme, il reste : 4 robes de satin couleur ponceau (rouge vif), satin broché31 à fond blanc, satin noir, soie gourgouran32 à fond blanc, jupe de damas33 jaune. Le luxe vestimentaire féminin de cette famille noble cévenole est précisé par l’inventaire dressé après le décès d’une de ses belles-filles34. Celle-ci laisse une garde-robe importante, composée de 13 robes :35 : de percale36 blanche à raies, blanche brochée, percale avec garniture, indienne37 à raies bleu et paille ou jaune clair, mousseline rayée rouge et blanc, indienne à fond amaranthe38, indienne à fond blanc et fleurs violettes, tissu de Florence39, une robe de dessous en percale. Il faut ajouter : tablier d’indienne à fleurs vertes, 9 coiffes, 3 collerettes de fichus, 39 paires de bas de fil ou de coton de différentes couleurs, 3 paires de bas de soie, 11 chemises de femme, 5 jupes de dessous en toile de coton, 30 mouchoirs de poche de Cholet. Elle possède également : 29 mètres de filoselle nouvellement ouvrée jaune et blanc, 12 m de percale, 1,30 m de toile de coton blanc, un morceau de toile peinte en jaune, une robe en pièce indienne fond lilas, une autre en pièce damas bleu40, un fichu de madras bleu41, un morceau de vieille toile peinte en bleu.

Dans l’ « appartement » attenant à la grande salle, une armoire en cerisier et noyer à deux portes et 3 tablettes contient une bibliothèque de près de 200 volumes. Des ouvrages de piété et de polémique catholiques (une centaine), assez abstraits, sont représentés par des livres de théologie, œuvres des Pères de l’Eglise (Saint Justin, Saint Jérôme, Saint Augustin), sermons et oraisons funèbres de Bossuet, Bourdaloue, Massillon et Fléchier, conférences42, méditations, catéchismes, œuvres de Saint François de Sales, Bible en 8 volumes, traduite en français, traduction de la Genèse, commentaire sur l’Ecriture Sainte, deux « Histoire Sainte » en 2 et 3 volumes, 2 tomes de la « Bibliothèque janséniste », mais également des ouvrages de jésuites et d’oratoriens, un livre contre le schisme des « prétendus réformés » et un traité pour convertir les hérétiques. Si quelques œuvres évoquent les principaux problèmes religieux de l’époque — jansénisme, protestantisme, molinisme — il semble, d’après ce choix d’ouvrages, que les des Molles n’ont jamais abjuré leur foi catholique, contrairement à d’autres familles nobles cévenoles43.

La littérature gréco-latine est représentée par près d’une vingtaine d’ouvrages, notamment d’Aristote, Isocrate, Virgile (traduction Deffontaines), Juvénal, Plutarque (traduction d’Amyot), Terence, philosophie latine.

La littérature française compte 36 volumes du XVIIme : Guez de Balzac, Boileau, Racine, La Bruyère, Fénelon (le Télémaque), Pascal (les Pensées), le comédien Regnard, des critiques littéraires : le Père Bouhours, le poète Benserade ; du XVIIIme ; les poètes Bernis, l’abbé de la Porte, La Harpe, Jean-Baptiste Rousseau, les critiques littéraires : Rollin et Thomas, des savants des XVIIme et XVIIIme siècles : les naturalistes Pluche et Buffon, le mathématicien Bezout, les physiciens Rohault et Nollet, des historiens profanes et religieux : le jésuite français Velly, l’abbé de Vertot, Dom Calunet, Berruyer et Boulainvilliers ; l’Esprit de Lois en 3 volumes, Grandeur et décadence des Romains de Montesquieu, la Henriade de Voltaire. En somme, peu d’ouvrages des Philosophes du XVIIIme et les moins « subversifs ».

Pour la littérature étrangère, il faut citer : un Don Quichotte de Cervantès en 5 volumes, un ouvrage du Jésuite espagnol Rodriguez, un discours contre Machiavel et une grammaire anglaise.

En résumé, Jean-Daniel Verdelhan des Molles s’intéresse au droit, comme avocat, (une trentaine de volumes) : droit privé, civil, canon, seigneurial, militaire, grec, juridiction des officieux, code de guerre, nobiliaire, ordonnances royales notamment de Louis XIV ; aux sciences (9 volumes) : histoire naturelle, physique, mathématiques, mécanique, table de logarithmes ; à la philologie grecque et latine (8 volumes) : dictionnaires, vocabulaire, grammaire ; à l’histoire civile et religieuse (19 volumes) : Histoire de l’Eglise, 2 tomes de l’Histoire de France de Lambert…, à la géographie comparée de Montbelle et de l’abbé Vosgien, aux ouvrages encyclopédiques : grand dictionnaire historique universel de Moreri en 5 volumes, dictionnaire de la langue française de Trévoux en 3 volumes, un traité de « Culture des terres » du physiocrate Duhamel du Monceau en 4 volumes.

L’éclectisme de cette bibliothèque nous renseigne exactement sur l’intellectualité et la spiritualité de cette famille. Fidèles à la religion catholique, les Verdelhan des Molles ont recherché, au XVIIIme siècle, dans de nombreux ouvrages de piété, à confirmer la foi de leurs ancêtres. Le Jansénisme et Saint-Augustin les ont intéressés mais l’un des leurs sera prêtre réfractaire. Nourris de culture gréco-latine par leur formation scolaire, assez perméables à la littérature et à la poésie françaises du XVIIme siècle, intellectuels, les Verdelhan des Molles restent assez réfractaires aux idées philosophiques du XVIIIme, limitées pour eux à l’épopée de la Henriade et aux œuvres plus juridiques que systématiques de Montesquieu. Famille d’avocats, ils sont particulièrement cultivés et intéressés par le droit, puis par l’histoire et les sciences.

Dans leur maison de St-Germain-de-Calberte, l’inventaire révèle l’existence de denrées diverses, les unes locales : farine de seigle — on consommait encore plus de pain de seigle que de froment — haricots blancs, panis grue44, basses dites garoutes45, prunes sèches ; les autres exotiques : sucre de canne en pains46 (37 kg), café de la Martinique47 (10 kg), riz du Levant (33 kg), poivre (400 gr)48. On note aussi : savon en barres coupées en morceaux (22 kg), écheveaux de chanvre, fil blanc et chevilier49, laine en suint ou « surge » (153 kg).

L’ensemble du mobilier, bibliothèque, denrées et vêtements est évalué 1556 francs de la monnaie de 1822.

Jean-Daniel Verdelhan des Molles possède, en outre, les 7 métairies du Mas de Serre, des Molles, Galdin, de lous Banquets, du Cros et de Peire Cadel, avec la pièce de terre de la Cambrotte et du Moulin, provenant du chef de sa femme décédée, puis les deux domaines des Abarlens, de la Combe ou Coumbe lui appartenant et du Mas del Miech appartenant à sa femme. Ces propriétés rurales comprennent, chacune cuisine, 1 ou 2 chambres, 2 ou 3 écuries, parfois une « magnanière »50 ou un pailler ou une cave ou une grange à foin.

Domaine de la Combe de Thonas

Les 6 métairies ou domaines : la Combe et le Mas del Miech, Le Peire Cadol, le Moulin, le Cros et les Abarlens sont loués à mi-fruit aux colons partiaires qui en jouissent. La métairie des Molles, seule, est affermée en argent : 51,50 fr, à un nommé Mazauric, agriculteur ; le bail est renouvelé en 1823. Le domaine des Banquets est baillé à ferme pour 87 ans, en 1809, moyennant 300 francs en argent, 14 quintaux (7 qx) de foin, 12 cannes51 de vin, un quintal de raisin (80 kg), une carte d’haricots secs (1 dal) et une paire de poulets.

D’après l’atlas cadastral et les états de section de St-Germain-de-Calberte de 1836, on remarque que les métairies (2 à 5 hectares) sont plus petites que les domaines (une vingtaine d’hectares). Métairies et domaines offrent un finage polygonal assez régulier, d’un seul tenant, où jardins et champs de terres de culture se groupent en éventail, en périphérie des bâtiments d’exploitation et d’habitation, selon des lots grossièrement rectangulaires. Pâtures et châtaigneraies s’étendent aux extrémités des propriétés ; il semble que les secondes aient remplacé les premières, à une date relativement récente. La structure agraire évoque un stade de défrichement, pratiqué en périphérie de la ferme, puis le passage d’une économie pastorale — reposant sur la pâture et la vaine pâture — à la culture arboricole du châtaignier puis du mûrier. Les prés restent limités à la proximité des cours d’eau.

Métairies et domaines constituent des unités culturales groupant à la fois prés, jardins, terres de culture, pâtures et châtaigneraies. On peut se demander si elles ne sont pas nées de menses du Moyen-Age ? La politique des Verdelhan des Molles a consisté à grouper leurs diverses propriétés ; les Molles et le Mas de Serre, à proximité du bourg de St-Germain-de-Calberte ; domaines du Mas del Miech et de la Coumbe sont mitoyens dans la section de Thonas, domaine lou Cros sur le terroir de Cadouène, grande métairie des Banquets sur le terroir de la Liquière.

Les papiers de famille inventoriés — 41 titres et actes « très anciens » —52 nous apportent quelques précisions. L’épouse du défunt — madame de Solier — possédait en propre, entre autres, la métairie du « Prat nouvel », baillée à ferme pour 99 ans, en 1797, moyennant annuellement : 20 cannes (200 litres) de vin, 6 quintaux de foin (3 qx), un chevreau, rente de 4 francs en argent et 600 francs d’entrée. En 1787, Jean-Daniel de Verdelhan a pris possession de la métairie de Combe, louée à rente pour 99 ans, en 1796, moyennant une rente annuelle de 260 livres en argent un chevreau, 1 quintal (mesure actuelle) de poires, 22 quintaux de foin sec et marchand et constitution d’une rente en capital de 1700 livres, payable à la récolte, chaque année, jusqu’au remboursement du capital. En 1821, Jean-Daniel Verdelhan des Molles a acquis, par jugement, la métairie Galdin, cédée par les frères Rauzier, ses débiteurs.

Les défunts, M. et Mme des Molles jouissaient d’une série de biens et de rentes foncières et annuelles de près de 600 francs (constituées de 1800 à 1820) et de baux à locatairie perpétuelle, s’é1evant à plus de 250 livres (constitués de 1741 à 1775). Il faut ajouter en nature : un faix de poires, un couffin53 de figues, une charge de raisins, deux cartes (2 dal) de noix sèches, 3 paires de poulets, 5 chevreaux.

En 183654, 5 représentants de la famille des Verdelhan des Molles55 possèdent au total 150 hectares — 4 % de la superficie totale — sur la seule commune de St-Germain-de-Calberte : 65 % en châtaigneraies, 16 % en pâtures, 9 % en terres labourables, 4 % en prés, 2,8 % en bois, 1,2 % en vignes, 0,6 % jardins. Notons l’importance des châtaignes, à un moment où ces fruits ont encore une valeur marchande. Le jour où celle-ci se vendirent moins facilement, la situation s’aggrava.

En 183356, Anne-Marie-Xavier Verdelhan des Molles — quatrième enfant de Jean-Daniel et major de la cohorte de la Garde nationale en 1816 — habite le château de La Garde, dans la commune de St-Germain, où il possède le domaine de La Garde — acheté 45 000 francs en 1828 —57 et les propriétés familiales des Abarlens, du Moulin et de Galdin (terroir de Thonas). Du chef de sa femme58, il réunit, en outre, les quatre propriétés du Tour, du Mas et du Pialet, sur la commune de St-Martin-de-Lansuscle, et de la Carrière sur la commune de Moissac.

La vie agricole continue à dominer les préoccupations de cette famille. La maison des Verdelhan des Molles, au village de St-Germain conserve, elle-même, un caractère rural : elle comporte « magnagnière », écurie à chevaux, écurie à cochons, 3 caves, un pailler, contenant en tout : 8 paires de greniers59 en châtaignier, à trois loges chacun, 5 coffres en bois pour conserver respectivement fromage, sel (pour l’élevage) et autres denrées.

Maison bourgeoise, métairies et domaines renferment divers produits qui nous renseignent exactement sur les productions du sol cévenol. En tête, comme faire se doit, viennent châtaignes blanches60, séchées à la fumée et à la chaleur dans un « suoir » à châtaignes ou « clédo »61 et dépouillées ensuite de leurs coques et pellicules (190 hl), « bazanettes » (20 hl) ou débris de châtaignes blanches et sèches, explechures ou briges62 (14 hl). Puis, viennent les céréales : blé tozelle63 (3,7 hl), seigle (5,7 hl), orge (45 l).

La cave de la maison du village contient 15 hectolitres de vin rouge du pays et quelques litres de vin blanc, provenant des vignes locales. Le matériel comporte : cuve vinaire en bois cerclée de bois, cuve ou fouloir, cuve pouvant contenir 16 hectolitres de vin avec son cercle de bois ou « encastre », alambic en cuivre avec son réfrigérant pour la distillation de l’alcool.

Pour l’alimentation du cheptel, il y a près de 5 tonnes de produits divers ; foin (3 tonnes), regain (1 tonne), paille (440 kg), fourrage (160 kg). Le cheptel total comprend 21 porcs « à poil blanc et noir » par moitié mâles et femelles (en 1822 il a été vendu en outre 22 cochons gras), 183 ovins dont 81 moutons, 61 bassives64 et 41 brebis, 12 chèvres, une mule, un mulet, un cheval ; le tout d’une valeur de plus de 2000 francs-1822. Le cheptel ovin domine et permet d’entreposer 153 kg de laine en suint ou surge65.

L’élevage des vers à soie — introduit fin du XVIme siècle — est assuré, dans des « magnagnières », notamment à la métairie du Mas de Serre, servant de « coconière », contenant à elle seule 64 mètres de planches de châtaignier, 10 m de planches de cerisier, 22 pieds droits66 avec leurs traversiers — traverses — et 12 canis67. Le défunt conservait 1,700 kg de bave de cocon68 dans un sac, 300 grammes de graines de vers à soie dans une nappe de coutil et des cocons percés, cuits au bassin69. Enfin, dans la maison de St-Germain existent 4 tentures70 pour la filature de la toile, un dévidoir avec pied de fer, 4 rouets à filer avec leurs bancs et agrès, une bassine en cuivre pour la filature de la soie.

La récolte de 1822 dans les 6 métairies affermées à mi-fruit, les biens de St-Germain et une pension servie en nature71 ont rapporté près de 400 hectolitres de châtaignes blanches de toutes espèces : grosses, bazanettes et brises. Les châtaignes sont consommées par les membres de la famille, les trois domestiques de la maison de St-Germain (2 femmes et 1 homme) et également pour nourrir le cheval et la mule et engraisser les cochons ; le reste est vendu.

Au XIXme siècle, cette famille joue un certain rôle dans la vie politique locale. Léon-Charles Verdelhan des Molles, aîné des enfants du fils aîné de Jean-Daniel, est élu en 1848 représentant du peuple et membre du Corps législatif. Il a été député légitimiste sous la Seconde République et le Second Empire^[72]. Vers 1850, Paulin-Albert Verdelhan des Molles, conseiller général de la Lozère, maire de Langogne, épouse la fille de Colombet de Landos, sénateur de la Lozère72.

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En résumé, ces nobles de robe des Hautes Cévennes sont des gentilshommes ruraux vivant des produits de la terre : châtaignes, poires, prunes, raisin, légumes, céréales, élevage des ovins, des vers à soie et des abeilles. Ils attachent un certain prix à la propriété rurale et achètent métairies et domaines qu’ils font travailler à mi-fruit par des métayers plutôt que par des fermiers.

Malgré cette existence champêtre, ils apprécient la culture intellectuelle — la poésie aussi bien que le droit et les sciences — la belle argenterie armoriée plutôt que les bijoux, les beaux meubles, le confort domestique, les réceptions, la vie de famille. Enfin la coquetterie féminine ne perd pas ses droits. Ce goût du luxe et du savoir, ils les ont acquis pendant leurs séjours à Toulouse, capitale du Languedoc ou à Alès, ville principale des Cévennes où les appellent leurs fonctions d’avocats mais ils viennent finir leurs jours dans le village natal où revivent leurs anciennes habitudes paysannes.

— Robert TINTHOIN.


  1. Cf. Robert Tinthoin « Commerçants des Hautes Cévennes au XIXme siècle », in C. R. Congrès Stés historiques du Languedoc, Rodez, 1958. 

  2. Anne du Mas (vivant en 1722). Pour cette famille, nous avons consulté, en particulier, Vicomte de Lescure « Armorial du Gévaudan », Lyon, 1929. pp. 794-797. 

  3. Diane de Teule de Camboux.

    Jean-Daniel Verdelhan des Molles a quatre enfants :

    I — Simon-Marcel qui épouse, en 1803, Elisabeth de Cadolle, d’Alès, décédé le 20 mars 1821, à Alès. Ils ont cinq enfants :

    1) Charles-Léon, propriétaire à Langogne, en 1850. 2) Joseph-Daniel-Gustave. 3) Marie-Xavier-Calixte, avocat à Montpellier, en 1854. 4) Marcel-Calixte-Clodomir, à St-Etienne-Vallée-Française, en 1850. 5) Marie-Joséphine-Virginie.

    II — Julie-Elisabeth.

    III — Marie-Sophie-Agnès, épouse de Joseph-Nicolas Subiderroux de la Bastide. Ils habitent à St-Etienne-Vallée-Française, en 1850.

    IV — Anne-Germain-Xavier demeure au château de La Garde (commune de St-Germain) en 1859, épouse Anne Sabathier, en premières noces. Sa fille aînée : Marie-Joséphine-Léocardie épouse Jean-Louis de Salvat ; de ses 2 fils, Edmond et Henri, le deuxième est docteur-en-médecine et demeure à St-Etienne-Vallée-Française. 

  4. A. D. Lozère, Série H, n° 13. L’abbé Verdelhan des Molles est codirecteur de l’hôpital de St-Germain, en 1776. Né en 1739, prêtre réfractaire déporté à la Guyane, mort en 1794. 

  5. Catherine-Elizabeth de Solier, fille de Pierre de Solier. 

  6. Marie-Sophie-Agnès de Verdelhan des Molles. 

  7. Joseph-Nicolas Subiderroux de la Bastide. 

  8. Elisabeth-Joséphine de Cadolle, apparentée au Comte Bernard-Jacques-Paulin de Cadolle, chevalier de dévotion de l’ordre de St Jean de Jérusalem. 

  9. Rue Basse et rue Droite. 

  10. Elle compte 21 fenêtres et portes. Etat de section du Cadastre 1836. 

  11. Tissu d’ameublement fabriqué avec de la bourre de soie mélangée avec du coton. 

  12. Evaluée 90 francs. 

  13. Etoffe de soie mince, imitant le satin. 

  14. Etoffe de soie, très solide à la chaîne, faite avec des déchets de cocons. 

  15. Apparut dans l’ébénisterie au début du XVIIIme

  16. Etoffe fine de coton et de couleur claire. 

  17. Evaluée 12 francs. Plaqué or. 

  18. Probablement poterie de St-Quentin, près d’Uzès, très usitée aux environs d’Alès. 

  19. Le tout pesant 1,860 kg et évalué 360 francs. 

  20. Pesant 1,500 kg et évalués 275 francs. 

  21. Fil fait de bourre de soie (« floure » en patois). 

  22. Petite balance pour peser les monnaies d’or et d’argent. 

  23. A ciel de lit d’où pendent les rideaux. 

  24. Quenouilles : piliers qui supportent, à chaque coin, le ciel de lit. 

  25. Lit dont l’impériale n’est maintenue que par l’arrière et par quelques appuis, pris au mur ou au plafond, l’avant du lit se trouvant, entièrement dégagé. Apparaît, dès 1700, dans les installations à la mode. 

  26. Toile à semis de points ressemblant à des grains d’orge. 

  27. Le gramme d’argent d’orfèvrerie ouvré est évalué à 0,375 fr. 

  28. L’argenterie détaillée ci-dessus pèse 20 kgs et est évaluée 15 000 fr., les chandeliers pèsent 1,250 kg chacun et valent 150 fr., le service 2 400 fr. 

  29. Le gramme d’or d’orfèvrerie est évaluée 3 fr. Les montres on été achetées chez un bijoutier parisien. Ces bijoux en or pèsent plus de 150 grammes et sont évalués 570 francs. On compte, en outre, 13 pièces d’or (une d’Espagne dite quadruple à l’effigie du roi Charles III), pièces de 48 livres et 24 livres d’avant la Révolution, pièces de 20 francs de l’Empire et de la Restauration. Les 60 pièces d’argent comprennent des pièces de 6 livres, 2 francs, 75, 50 et 25 centimes, puis monnaie de cuivre ou billon ; le tout d’une valeur de 850 francs. 

  30. Moulé. 

  31. Etoffe de soie présentant des ornements sur le fond uni du tissu, la trame n’apparaît pas à l’endroit ; tissu lustré au cylindre. 

  32. Sorte d’étoffe de soie, originaire de l’Inde. 

  33. Etoffe tissée de façon que les mêmes dessins, qu’elle présente à l’endroit en satin, sur fond de taffetas, apparaissent à l’envers en taffetas sur fond de satin. 

  34. Marie-Joséphine-Elisabeth de Cadolle, épouse de Simon-Marcel Verdelhan des Molles. A. D. Lozère. Etude de Me Cord, 3 E, n° 9931. Inventaire du 2 janvier 1822. L’intéressée est décédée, à Alès, en 1821. 

  35. Evaluées, chacune, de 4 à 5 francs. 

  36. Calicot fin non duveté. 

  37. Etoffe de coton peinte (de Rouen, en particulier). 

  38. Rouge pourpre. 

  39. Taffetas très léger. 

  40. Evaluées, l’une et l’autre, 10 et 25 francs. 

  41. Etoffe légère dont la chaîne est en soie et la trame en coton. 

  42. Comptes rendus des conférences ecclésiastiques de Paris, Langres, Luçon, Angers. Statuts synodaux de Mende. 

  43. Un sieur Verdelhan, notaire de St-Privat-de-Vallongue, nouveau converti, a été assassiné, en 1703, par les Camisards, un Verdelhan des Molles sera prêtre réfractaire pendant la Révolution. 

  44. Mil blanc, millet des oiseaux. 

  45. Garoute vient probablement du provençal garoussa : gesse. 

  46. Le sucre est râpé avec une râpe ou cylindre de fer blanc. 

  47. En usage à Paris dans la deuxième moitié du XVIIme siècle. 

  48. Le poivre coûte 2,50 fr. le kg. Le café coûte 3 fr. le kg.. 

  49. Chevillière : sorte de tresse plate en fil écru ou en coton. 

  50. Magnaguiéïro, coconnière, atelier où on élève des vers à soie. 

  51. Environ 120 litres (mesure d’Alès). 

  52. Parmi les papiers, nous relevons l’existence d’un Compoix-terrier de la commune de St-Germain-de-Calberte de 1647, un terrier relié parchemin, contenant les reconnaissances féodales faites aux anciens prieurs de St-Germain, un terrier relié parchemin et reconnaissances faites en faveur du Sieur des Molles par ses emphithéotes de St-Germain, la Bessède et de la communauté de Ste-Croix (Vallée française). 

  53. Corbeille ou panier en sparterie, rond ou ovale, avec deux anses. 

  54. D’après l’Etat des sections du cadastre et l’Atlas cadastral. 

  55. Le fils de Jean-Daniel : Simon, habitant à Alès : 56 ha, ses petits-fils Xavier, habitant St-Germain et La Garde : 35 ha, Gustave, habitant St-Germaîn : 4 ha, sa petite-fille Marie, de St·Germain : 12 ha, son gendre. Subiderroux de la Bastide, époux de sa fille Marie-Sophie-Agnès, habitant St-Etienne-Vallée-Française : 42 ha. Xavier Verdelhan des Molles, de la Garde a un revenu cadastral de 1 200 francs, mais il vient au 8me rang des propriétaires. 

  56. A. D. Lozère, 3 E n° 10 031. Etude de Me P. Larguier, 1833. 

  57. Acheté à Larguier, propriétaire foncier et ancien procureur, fixé à Lausanne, en Suisse, qui le tenait, à titre de légataire universel, de sa tante Larguier, épouse de Delapierre Dalzan. 

  58. Marie-Philippine-Elisabeth Ausset de Chavanon. 

  59. Coffre en bois à compartiments dans lequel on conserve des grains. 

  60. Avec on fait la « bajana » ou « cousina », potage, mets très communs dans les Cévennes, principale nourriture des habitants pendant l’hiver. 

  61. Séchoir à châtaignes, bâtiment bas et isolé où l’on dépose les châtaignes sur des clayons au-dessus d’un feu lent et continu. La fumée filtre à travers les interstices et fait « suer » les châtaignes qui perdent leur humidité. 

  62. Brisos, châtaignes sèches qui ont été brisées en les battant pour les dépouiller. Elles ont un peu moins de valeur sur les marchés parce qu’elles se mettent en marmelade en cuisant mais elles sont préférables si on les moud en farine pour les porcs. 

  63. Tousèle, tuzèle, variété de froment sans barbe précoce, très employé dans la panification chez les populations rurales du Midi. On dit « tuzelle » en Algérie, aujourd’hui. 

  64. ou « basibios » : brebis qui n’ont pas porté. 

  65. La laine surge coûte 1,25 fr. le kg. Un cochon hivernaire (pourceau d’1 an ou 2 qu’on engraisse pour égorger l’hiver suivant) coûte 22 fr., un cochon gras 75 fr., un bassif ou bête à laine : 76 fr., une chèvre : 14 francs. 

  66. Montants. 

  67. Canisso : clayon fait de petits roseaux de marais qui sert de plancher aux tables de vers à soie. 

  68. Premiers fils secrétés par le ver à soie qui servent d’enveloppe à la soie du cocon. 

  69. Bassis : bassine en cuivre pour filer les cocons. 

  70. Montants de métier. 

  71. Par Liquière des Portes. 

  72. Décédé en 1926 au château de Barre, à Langogne.